Les sultans ottomans
avaient fait de ce pays le coeur prestigieux de
l'Islam: en 1517, Selim Ier
ajoute le titre de Calife (qui détient les pouvoirs
spirituels et temporels) à celui de Sultan. Mais
suite aux réformes
de 1924, la religion musulmane perd tout caractère
politique et l'état devient laic, la liberté de
conscience étant strictement observée par le régime
républicain. Les confréries religieuses sont interdites.
La polygamie est mise hors la loi. Cette politique
radicale à laquelle une petite partie de la population
était intellectuellement préparée, ne s'est enracinée
que progressivement.
Des décades plus tard, un certain relâchement et
le contexte général contemporain a permis la résurgence
de la vie religieuse: multiplication de nombreuses
mosquées et d'écoles (imam hatip) coraniques, réapparition
de l'enseignement religieux, du port de vêtements
à signification religieuse, des confréries mystiques
dont la plus célèbre est la Confrérie desMévlevis composée par les Derviches Mevlevis
mieux connus sous le nom de "DervichesTourneurs".
La
Confrérie des Mevlevis représente un style
de soufisme à l'anatolienne fondé par MevlânâCelâleddinRoûmi qui est l'un
des plus remarquables philosophes mystiques
et poètes du monde musulman. Mevlânâ
naquit à Balkh, Khorassan (Asie Centrale),
en septembre 1207. Sous la menace approchante
des Mongols, sa famille vint s'installer à
Konya,
en Anatolie, alors gouvernée par les Turcs
Seldjoukides. A la mort de son père, Bahaddin
Veled, en 1231, il reçut une éducation morale
de Seyid Burhaneddin de Tirmiz. Après avoir
terminé ses études dans les medreses
d'Alep et de Damas (Syrie), il devint un "müderris"
(un professeur) des sciences islamiques de
Konya. En 1244, après sa rencontre avec un
derviche appelé Şemseddin de Tabriz
(Iran), il abandonna le medrese et adopta
une nouvelle philosophie de la vie à la fois
scientifique et mystique. Le peuple de Konya,
jaloux de leurs relations, assassina Şemseddin
lorsqu'il revint dans la ville. Mevlânâ,
profondément impressionné par l'évènement,
écrivit son Grand Divan (Divan-ı
Kebir). Puis il entretint des rapports
avec Selahaddin
Zerkûbi et plus tard avec Hüsameddin
Türkoğlu, mais ce fut à l'instigation
de
Hüsameddin Çelebi qu'il créa sa plus
grande oeuvre intitulée " Mesnevi"
ou "la Quête de l'Absolu". Mevlânâ
mourut le 17 décembre 1273 à Konya.
Ses
disciples fondèrent plus tard la Confrèrie
des Mevlevis. Sa vie durant, Mevlânâ s'est
toujours soucié de faire aimer la religion
et non de l'imposer. Symbole de la Tolérance,
ses idées continuent encore aujourd'hui à
séduire le monde musulman et à fasciner les
non-musulmans.
Rituel des Mevlevis: l'évocation d'Allah,
ou "Zikr", et la méditation
se traduisent par un rituel, le "sema",
dirigé par un guide spirituel nommé "sheik".
A l'image des planètes gravitant autour du
soleil tout en gravitant sur elles-mêmes,
les Derviches Mevlevis, ou "Derviches
Tourneurs", peuvent tourner sur eux-mêmes
pendant des heures entières en état de méditation
profonde. Pour Mevlânâ, toute créature présente
dans l'univers, les atomes, les planètes,
les plantes, les animaux...évoquent Allah,
le Créateur Unique.
Rituel
du Sema au Galata
Mevlevihanesi à İstanbul.
Les femmes sont à présent autorisées à faire
partie de la confrérie. Elles se distinguent
içi par leurs foulards de couleur.
Un
autre mystique de la période seldjoukide est
Hacı Bektaş Veli, un contemporain de
Mevlânâ. Les deux hommes avaient beaucoup
en commun mais, alors que Mevlânâ qui écrivait
en Persan littéraire s'adressait d'avantage
à une élite d'érudits, de poètes et d'artistes,
Hacı Bektaş Veli faisait des adeptes parmi
les paysans et les soldats dont il fut le
saint patron. En tant que leader religieux
et enseigant de l'ethique, il fit partie de
ceux qui ouvrirent la voie à l'Empire
Ottoman.
L'histoire de sa vie est retracée dans le
livre intitulé " Velayetnâme "
qui fut écrit au XVe siècle d'après la tradition
orale. Hacı Bektaş Veli est né à Nishabur
au Khorassan entre 1243 et 1248. Après des
années d'études il partit pour le Turkestan,
l'Iran, Bagdad, Kerbela, la Mecque et la Syrie.
Il arriva en Anatolie vers 1275-1280 et s'installa
dans le village de Sulucakarahöyük, connu
de nos jous sous le nom de Hacıbektaş.
Il
fonda un Centre de Culture Turque où il divulgua
ses enseignements, la base de la tradition
Alevi, créant une unité parmi les Turcs
d'Anatolie. Sa philiosophie est basée sur
la Paix, la Tolérance, l'Humanité et l'Humilité
auxquelles il n'est possible d'accéder qu'à
travers l'Amour de Dieu et des Hommes. Hacı
Bektaş Veli éleva le statut social de la femme.
Il fit un certain nombre d'écrits sur le "
tasavvuf " (le mysticisme), le
plus connu étant le " Makalât
". On pense qu'il mourut en 1337. Les
relations entre les Ordres des Bektaşi et
Mevlevi continuèrent après la mort de Hacı
Bektaş et Mevlânâ. L'Ordre des Derviches Bektaşi
prit le relais dans le patronage des Janissaires,
et sous leur influence les doctrines Bektaşi
s'étendirent aux pays conquis. Cependant les
contacts avec d'autres religions et d'autres
cultures, l'influence des convertis et la
propagande Chiite d'Iran au XVIe siècle modifièrent
l'ordre stricte des Bektasi en une association
cosmopolite hétérogène qui satisfaisait aux
besoins de tous.
Aujourd'hui la population en Turquie est musulmane
à 99%. Diverses confessions chrétiennes appartenant
principalement aux Eglises Grecque Orthodoxe, Arménienne
et Syriaque-Jacobite, et une petite communauté juive
se partagent le 1% restant.
Les Turcs sont en majorité sunnites. Les
Chiites d'Anatolie portent le nom d'Alevis
(disciples d'Ali) et ont des pratiques plus souples
que les Sunnites. Rien à voir donc avec la forme
de chiisme en vigueur en Iran ou en Iraq.